Thomas Sankara demeure l’un des dirigeants africains les plus exemplaires plus de 30 ans après sa mort même s’il n’était pas apprécié par certains de ses homologues.
Il est mort quelques mois avant son 37e anniversaire. Nous nous consolons avec l’adage selon lequel les dieux enlèvent très jeunes les mortels qu’ils aiment, mais le destin ne nous doit aucune justification pour la façon dont il se déroule. Cependant, dans le cas particulier de Sankara, nous pouvons nous accorder sur le fait qu’il était aimé par un autre monde parce que, sur terre, le jeune soldat n’était pas aimé par certains dirigeants africains.
Thomas Sankara aurait été tué sur l’ordre d’un homme qui était son ami proche, Blaise Compaoré. Mais même si l’on retire ce dernier de l’équation des ennemis de Sankara, l’historien ghanéen Explo Nani-Kofi affirme que le leader ivoirien indépendantiste Félix Houphouët-Boigny n’était pas un fan de Sankara. Nani-Kofi prétend même que certaines analyses montrent qu’Houphouët-Boigny serait impliqué dans la fin de règne sanglante de Thomas Sankara.
Houphouët-Boigny aurait contribué à faciliter le renversement de Sankara. Nani-Kofi n’est cependant pas la seule à penser que Houphouët-Boigny pourrait avoir été complice de la mort de Sankara. Selon des sources, Sankara et Houphouët-Boigny étaient des adversaires idéologiques. Houphouët-Boigny, un ami de la France jusqu’à sa mort, s’était battu avec véhémence contre la nomination de Sankara, un panafricaniste infatigable, à la direction de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Thomas Sankara était un jeune homme charismatique qui profitait de chaque occasion pour réciter la rhétorique de gauche panafricaine. Il a fait valoir que les dirigeants africains étaient moralement responsables du développement postcolonial qui allait au-delà du progrès traditionnel des infrastructures, mais qui était également lié à la lutte contre le néocolonialisme. Il suffit de dire que Sankara disait aux dirigeants africains leurs quatre vérités.
Voici un extrait d’un discours prononcé devant les dirigeants africains lors de la conférence de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) qui s’est tenue à Addis-Abeba, en Éthiopie, en 1987 :
« Monsieur le Président, combien de chefs d’État africains sont présents ici alors qu’ils ont été dûment convoqués pour venir parler de l’Afrique en Afrique ?
Monsieur le Président, combien de chefs d’État sont prêts à se rendre à Paris, Londres ou Washington lorsqu’ils sont convoqués à une réunion dans ces villes, mais ne peuvent pas venir à une réunion ici à Addis-Abeba, en Afrique ?
Je sais que certains d’entre eux ont des raisons valables de ne pas venir. C’est pourquoi je suggère, Monsieur le Président, que nous établissions des sanctions ou de pénalités pour les chefs d’État qui n’ont pas répondu présent à cette conférence. Faisons en sorte qu’à travers un ensemble de points de bonne conduite, ceux qui viennent régulièrement – comme nous, par exemple – puissent être soutenus dans certains de leurs efforts. Par exemple, les projets que nous soumettons à la Banque africaine de développement devraient être multipliés par un coefficient d’africanité. Les moins africains devraient être pénalisés. Avec cela, tout le monde viendra aux réunions. »
Sankara n’a manifestement pas eu peur de critiquer une génération de dirigeants africains qui avaient presque entièrement abandonné le panafricanisme de Kwame Nkrumah, Julius Nyerere et d’autres. En mettant la question du néocolonialisme à l’ordre du jour de l’OUA, Sankara a définitivement perdu quelques amis parmi les dirigeants africains. Pour s’atteler au programme de lutte contre le néocolonialisme, Sankara demandait en effet aux dirigeants de risquer des coûts économiques qui ne menaçaient pas seulement les pays jeunes et inexpérimentés, mais aussi les hégémonies politiques dans ces juridictions.
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