On ne pourra pas le soupçonner d’aimer l’argent par-dessus tout. Eric Ben-Artzi, l’ancien analyste de la Deutsche Bank qui avait dénoncé en 2012 les pratiques comptables frauduleuses de sa direction au régulateur américain, vient de refuser sa prime offerte par la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain, à laquelle il avait droit. Soit pas moins de 8,25 M$ (7 M€), tout de même…
Au plus fort de la crise des subprimes, qui a débuté en 2008, la première banque allemande avait en effet minimisé des pertes importantes sur certains produits financiers. S’appuyant sur les informations fournies par Eric Ben-Artzi, la SEC avait alors ouvert une enquête qui a abouti, l’an dernier, à une amende de 55 M$. La philosophie aux Etats-Unis étant de récompenser les lanceurs d’alerte qui permettent aux autorités de lutter contre la fraude, Eric Ben-Artzi avait droit au jackpot : 15 % de cette amende ! Ce qu’il a refusé.
Dans une lettre publiée vendredi par le quotidien économique britannique « Financial Times », l’ex-employé vertueux détaille les raisons de cet étonnant refus. « Je ne veux pas participer au vol des gens que j’ai été chargé de protéger », écrit le jeune homme, qui depuis 2011 participe régulièrement à des conférences sur le rôle des lanceurs d’alerte. « Je refuse de prendre ma part, poursuit-il dans son courrier. Les dirigeants (NDLR : de la Deutsche Bank) sont partis à la retraite avec plusieurs millions de dollars. Il est décevant que la SEC ait infligé une amende aux actionnaires plutôt qu’aux dirigeants responsables. » Et l’analyste financier, qui décidément n’a pas sa langue dans sa poche, ouvre un autre front en dénonçant les « renvois d’ascenseur » (« revolving doors », en anglais) qui existent aux Etats-Unis entre les banques et les autorités de régulation. Il accuse en effet la SEC de collusions avec certains établissements bancaires. Des dirigeants de la Deutsche Bank auraient selon lui également travaillé, avant ou après la période des activités incriminées, pour la SEC, ce qui expliquerait l’indulgence dont le gendarme américain de la Bourse aurait fait preuve à l’égard des responsables de la banque allemande. De fait, Eric Ben-Artzi a demandé que sa part de la prime soit reversée aux actionnaires de la Deutsche Bank, qu’il considère comme « les premières victimes » de cette affaire. La banque a en effet dû lancer depuis un gigantesque plan de restructuration. Elle prévoit ainsi de fermer d’ici à 2020 quelque 200 filiales en Allemagne et de supprimer 9 000 postes à travers le monde.
« Le fait que cet analyste ait refusé l’argent me semble une bonne chose, estime Daniel Lebègue, président du bureau français de l’ONG Transparency International, spécialisée dans la lutte contre la corruption. Nous sommes contre ce système de primes développé par les Anglo-Saxons, et notamment les Américains, car il peut aboutir à des dérives. Nous plaidons plutôt pour un accompagnement personnalisé des lanceurs d’alerte. »
Il est vrai que ces derniers paient souvent chèrement le prix de leur vertu. Licencié par la Deutsche Bank, Eric Ben-Artzi s’est immédiatement retrouvé black-listé à Wall Street. « C’est un tout petit milieu », expliquait en 2014 lors d’une conférence à l’université d’Auburn (Alabama) celui qui est allé refaire sa vie professionnelle… au Moyen-Orient.
Source : Le Parisien