Valérie Carole Gbonon, l’Ivoirienne qui sort les bactéries de l’ombre
La professeure Valérie Gbonon, âgée de 47 ans fait partie des médecins chercheurs les plus brillants d’Afrique de l’Ouest. Elle est devenue incontournable sur un sujet peu étudié sur le continent : la résistance bactérienne aux antibiotiques
Née en France de parents ivoiriens, elle a débarqué à Abidjan à l’âge de 15 ans avec sa famille. Logiquement, cette fille de pharmacienne, sœur d’un médecin infectiologue et nièce d’un cardiologue poursuit dans la santé. Elle sera médecin.
C’est à la fin des années 1990 qu’elle vit le premier vrai tournant de sa vie. Alors qu’elle commence une thèse sur « l’écosystème bactérien dans les blocs opératoires du CHU de Treichville », à cheval sur la réanimation et le service de bactériologie de cet hôpital d’Abidjan, elle est traumatisée par ce qu’elle voit. « La mort partout, tout le temps. Et ce sentiment d’impuissance… » Plus elle passe de temps au service de réanimation, plus son envie d’être médecin diminue, et plus elle peine à écrire sa thèse.
C’est à cette époque qu’elle fait la « rencontre de [sa] vie » : Mireille Dosso, la directrice de l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire (IPCI), qui s’allie pour la circonstance avec la mère de la jeune universitaire pour la convaincre de finir sa thèse et de devenir chercheuse, en plus d’être médecin. Mise sur les rails par ces deux « mentors », Valérie Carole Gbonon entre à l’IPCI.
Depuis, elle enchaîne les consécrations scientifiques. En 2006, ses travaux autour du streptocoque du groupe B, la principale bactérie responsable des infections néonatales, véritable fléau en Côte d’Ivoire, lui valent d’être lauréate du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science, avec à la clé un stage au Centre national de référence des streptocoques de l’hôpital Cochin, à Paris, sous l’œil bienveillant d’une autre sommité du milieu, la professeure Claire Poyart.
« Ma manière d’apporter ma pierre à l’édifice de l’humanité, c’est mon sacerdoce. Tout le monde ne peut pas être pasteur ou prêtre », conclut, rieuse, Valérie Carole Gbonon. Interrogée sur sa double nationalité et les opportunités qu’elle pourrait avoir à l’étranger dans des laboratoires de renommée, elle répond, presque en chuchotant : « C’est la Côte d’Ivoire qui a le plus besoin de moi. »
De dix chercheurs en 2004, l’IPCI est passé à plus de 80 aujourd’hui, sans compter les étudiants en provenance de la sous-région qui viennent s’y former. Pour Mireille Dosso, qui le dirige depuis quinze ans, l’objectif est double : « Il s’agit d’atteindre une forme de souveraineté, d’autonomie dans nos recherches, mais aussi de rapatrier nos cerveaux de la diaspora tout en gardant ceux qui sont ici, comme la professeure Gbonon, pur produit de l’université ivoirienne. »
Pour accomplir ce défi, l’IPCI et l’Etat ivoirien se donnent les moyens. Déjà équipé d’une banque nationale biologique pour héberger les échantillons de tous les pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’institut sera bientôt doté d’un centre d’études des pathogènes à risque infectieux sévère. Dans ce laboratoire de type P4 – le premier de la sous-région – à haut niveau de confinement seront étudiés les virus de type Ebola ou Lassa. « Dans ces conditions, pourquoi partir ? », interroge Valérie Carole Gbonon.
« D’autant qu’il lui reste un palier à franchir », la taquine Mireille Dosso. Car son statut de première femme « médecin maître de recherche » de Côte d’Ivoire ne lui suffit pas : la scientifique rêve maintenant de devenir la première femme « médecin directrice de recherche » du pays. « Rien qu’à cause de ça, je veux aller au bout. Je vais montrer qu’ici, en Côte d’Ivoire, tout est possible et que la recherche avance à grands pas. »
Avec LeMonde