Les médicaments constituent un élément essentiel de la santé publique. Au Sénégal, pour disponibiliser les produits de santé, le “Yeksinaa” (je suis arrivé en langue wolof) a été mis en place. Cette initiative, annoncée par le Chef de l’Etat lors de son discours de nouvel an, le 31 décembre 2016, a pour objectif le “renforcement du système d’approvisionnement en médicaments”, pour ainsi reprendre Macky Sall selon qui le Yeksinaa “facilitera la distribution de médicaments et produits essentiels aux zones isolées”.
Malgré toute cette ambition, des goulots d’étranglement se sont faits sentir dans sa mise en œuvre. A l’issu d’une investigation, Afrikmag a eu écho que le médicament est devenu rare dans les structures de santé. Pour en connaître la cause, la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement (PNA) s’est entretenue avec la rédaction d’Afrikmag et situe les responsabilités.
1 an après la mise en place du Yeksi naa, quel bilan?
A travers le Yeksinaa, la PNA ravitaille en produits de santé les districts sanitaires les plus reculés, pouvant désormais disposer de médicaments selon leurs besoins. Mieux, ils ne paient que leurs consommations et donc peuvent retourner les médicaments invendus, six mois avant la date de péremption. Ce qui constitue une grande innovation dans le système de santé, pour éviter que les structures sanitaires ne suffoquent, économiquement parlant.
En plus, les médicaments leurs sont livrés, grâce à un partenariat public-privé impliquant des opérateurs formés sur la logistique des produits de santé.
Seulement, pendant le mois de Juin 2018, la presse sénégalaise a fait état d’une rupture de médicaments dans le pays. Selon eux, cela serait dû à une dette de 17 milliards Fcfa de la PNA aux fournisseurs et qu’une rupture totale serait inévitable. C’est ainsi que, pour faire lumière sur cette affaire, la directrice de la PNA s’est montrée rassurante, à travers une radio privée. “La Pharmacie nationale d’approvisionnement assure aujourd’hui correctement l’approvisionnement des structures publiques”. Néanmoins, la question des 17 milliards n’a pas trouvé de réponse dans ses propos.
Fort de cela, Afrikmag a décidé de prendre le taureau par les cornes, et de se rendre à l’intérieur du pays pour vérifier la disponibilité des médicaments dans les postes de santé les plus reculés. Ainsi, les régions de Kaolack, Kaffrine, Diourbel et Saint-Louis ont été ciblées. Par la suite, la rédaction n’a pu recueillir des informations que dans les régions de Kaolack, et Kaffrine à cause d’une grève du Syndicat Unique des Travailleurs de la Santé et de l’Action Sociale qui procède à une rétention de l’information.
Durant l’enquête, Afrikmag a rencontré des prestataires de santé et du niveau communautaire qui ont embouché le même son de cloche: il y a réellement une rupture de médicaments dans les postes de santé.
Pourquoi? C’est la question que la rédaction d’Afrikmag a posé à la PNA, qui pointe du doigt les postes de santé, qui, à leur tour, renvoient la balle à l’agence pour la Couverture Maladie Universelle.
Voici la réponse de la PNA, qui révèle les chiffres et les problèmes du Yeksinaa (Exclusif)
La Couverture Maladie Universelle, une promesse qui tarde à être tenue?
Au poste de santé de Kaffrine 2, on se serait cru à un “afterwork” à 13 heures tapantes, tellement le personnel de santé n’avait pas de quoi s’occuper. Au menu de leurs discussions, des débats sur la mode, sur la famille et sur l’actualité, rien à voir avec ce pourquoi ils étaient en blouse.
Pourtant, on ne pouvait guère leur servir des reproches, car pas de médicament, pas de patient: la rupture est passée par là. Et c’est ce que confirme Mère Atta, Infirmière Chef de Poste, qui ne mâche pas ses mots.
“Yeskina nous avait permis de prendre en charge tous les malades en mettant à notre disposition les médicaments dont on avait besoin. Le problème qu’on a avec eux, c’est le remboursement. Depuis que la CMU a démarré, on ne travaille qu’avec les mutuelles de santé mais aussi avec l’Etat. Avec les bourses sociales, c’est l’Etat qui devait rembourser les mutuelles pour que celles-ci viennent nous payer. Mais, on peut rester six à sept mois sans que la dette ne soit honorée. Pourtant, c’est à travers ces tickets qu’on peut payer la facture de Yeksinaa mais aussi les travailleurs. A l’heure actuelle, il n’y a que l’Infirmière Chef de Poste (ICP) et la sage-femme qui sont payés par l’Etat. Le reste du personnel est pris en charge par les ressources propres du poste de santé”.
Des ressources devenues inexistantes, selon Mère Atta qui renseigne que la CMU, qui offre les médicaments aux enfants de 0 à 5 ans, n’a pas effectué de remboursement depuis plusieurs mois.
“La Couverture Maladie Universelle offre la possibilité aux personnes les plus démunies de bénéficier d’une couverture de risque maladie”, c’est ce qu’on lit sur le site officiel de l’agence de la CMU. Dans cette optique, les enfants de 0 à 5 ans bénéficient d’une gratuité pour accéder aux soins et aux médicaments. Une très belle initiative, qui, à priori assure l’équité dans la prise en charge médicale des enfants, mais qui a été décriée par les postes de santé. Pour eux, elle les tire vers le bas à cause du retard de remboursement.
“Lors des recouvrements, si la CMU ne rembourse pas les produits donnés gratuitement aux enfants, les postes de santé sont obligés de puiser dans leurs caisses pour payer le Yeksinaa. Après plusieurs mois et à force de payer les produits de la CMU, sans obtenir de leur part un remboursement, il y a problème”. C’est ce qu’explique le comité de santé de Ndoffane, une localité située à 30 km au sud de Kaolack.
Pour le trésorier du comité, la CMU constitue un frein pour le Yeskinaa. Il propose alors de mettre la CMU dans un autre programme ou à défaut, de leur donner les médicaments de la CMU gratuitement pour ne plus qu’il y ait de remboursement.
Seulement, il faut comprendre que les produits de la CMU représentent 15 à 20% du Yeksinaa.
C’est ce que rappelle le Dr Kane Ndeye Mbacké, Médecin Chef de District de Kaffrine, qui dénonce un problème de gestion. “Ce ne sont pas tous les médicaments de la CMU qui sont destinés aux enfants. S’il y a une bonne gestion, on devrait pouvoir faire un bon recouvrement des médicaments”, souligne t-elle.
Pour régler le problème, le Dr Demba Waar Sall Dieng, Médecin Chef de Poste de Ndoffane propose une meilleure collaboration entre le Yeskinaa et les structures sanitaires, en mettant en place des instances de coordination régulières afin de recueillir les avis des uns et des autres. Par ailleurs, il invite la CMU à procéder à un remboursement plus régulier.