A 30 ans, Fary Ndao vient de publier son premier livre intitulé « L’or noir du Sénégal : comprendre l’industrie pétrolière et ses enjeux au Sénégal ». A travers cette interview accordée à Afrikmag, cet ingénieur géologue met en exergue les trois points à retenir du livre, et pose les jalons d’une bonne exploitation du gaz. Par ailleurs, Fary s’exprime sur la malédiction du pétrole mais aussi les enjeux de l’or noir pour le Sénégal.
Quels sont les trois points à retenir de votre livre?
Si je devais faire ressortir trois points essentiels du livre, ce serait:
– L’explication didactique des bases techniques, économiques et juridiques de l’industrie pétrolière et la nécessaire information du grand public.
– Les erreurs économiques et stratégiques que le Sénégal devrait éviter de commettre
– L’importance de préparer notre pays, dès le départ, à « l’après-pétrole » à travers des investissements dans la transition énergétique et écologique.
Que propose votre ouvrage pour une bonne exploitation du pétrole et du gaz au Sénégal ?
Une bonne exploitation du pétrole dans notre pays suppose, à mon avis, plusieurs choses. Je propose dans mon ouvrage de moderniser notre législation pétrolière en la rendant plus contraignante sur le plan financier et écologique, afin de n’attirer que des compagnies sérieuses et suffisamment outillées. Il faut ensuite informer massivement nos compatriotes car il est démontré que plus une population est bien informée, plus elle peut interroger et contrôler les décisions prises dans la gouvernance de ce secteur.
Il faut également renforcer nos ressources humaines, et ce, de deux manières. D’abord en formant des techniciens de l’industrie pétrolière, ce qui sera fait en partie avec l’Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG). Ensuite en rapatriant au sein de l’administration beaucoup de hauts profils sénégalais de la diaspora déjà habitués à travailler sur les différents aspects de l’exploitation pétrolière où le Sénégal dispose, pour l’instant, de peu d’expertise. Il faut également aller vers des procédures transparentes et moins discrétionnaires, notamment dans l’octroi des blocs pétroliers. C’est pourquoi je propose de rendre les appels d’offres exclusifs lorsque l’État veut mettre un bloc pétrolier quelconque à disposition des compagnies. Enfin, il faut lutter avec fermeté contre les conflits d’intérêts et la corruption car ce secteur a montré, un peu partout dans le monde, qu’il était corruptogène. Il faut donc renforcer notre arsenal de contrôle, donner plus de force et d’indépendance, vis à vis de la station présidentielle, aux corps de contrôle de l’État (IGE, OFNAC, Cour des comptes).
Êtes-vous d’accord avec ce qu’on appelle “la malédiction du pétrole”? Sinon comment le Sénégal pourrait-il l’éviter?
La « malédiction du pétrole » est une expression qui fait référence à une situation économique précise : celle d’un pays disposant de ressources pétrolières en abondance et qui finit par voir toute son économie devenir dépendante de cette ressource qui est volatile (son prix change souvent) et épuisable. Cette situation existe dans beaucoup de pays pétroliers qui deviennent des États rentiers, ne se contentant plus que d’attendre que leur « part du pétrole tombe sous forme d’argent à la fin du mois » et abandonnent, petit à petit, d’autres secteurs de l’économie comme l’agriculture et la production industrielle manufacturière.
Pour éviter de se retrouver dans une telle situation, le Sénégal doit prendre des mesures fortes comme : placer une partie de son argent dans des investissements décorrélés de l’industrie pétrolière, éviter de baisser le prix du carburant pour montrer que le gaspillage n’est pas à l’ordre du jour, renforcer les secteurs de l’agriculture et de la pêche ainsi que celui de la transformation des productions halieutiques et agricoles, et, chose qu’il est important de rappeler, lutter contre la corruption.
Si vous deviez expliquer au grand public, en termes courants les enjeux du pétrole au Sénégal, que leur diriez-vous?
Les enjeux du pétrole sont, à mon avis, de trois ordres : économiques et sociaux, énergétiques et écologiques, politiques et géopolitiques.
Au niveau économique et social, je pense que l’argent du pétrole devrait être utilisé de manière à répondre à trois impératifs : l’éducation, l’accès à la santé et l’emploi des jeunes. D’où l’importance d’avoir une loi de répartition des revenus et des lois de finance qui privilégieront des investissements dans ces secteurs.
Sur le plan énergétique et écologique, nous devons, dès à présent, chercher à dépendre le moins possible des revenus tirés de ces ressources et changer de paradigme. Au niveau de la production d’éléctricité, il faudrait à mon avis délaisser le charbon, et la centrale de Bargny, et diminuer la part hégémonique du fioul pour les substituer par le gaz pour tout en continuant à renforcer la part des les énergies renouvelables. Dans les transports, il ne faut surtout pas subventionner l’essence au risque de ne pas pouvoir le faire durablement et d’en recevoir le contrecoup social.
Sur le plan écologique, il faut protéger notre secteur de la pêche et repenser l’aménagement de nos villes pour les rendre plus vertes, plus respirables et conviviales.
Sur le plan politique, l’un des enjeux majeurs, malgré les tensions entre le pouvoir et l’opposition, est de trouver un consensus sur les orientations stratégiques majeures pour la future législation pétrolière, l’utilisation des revenus et les mécanismes de transparence. Cette industrie est là pour au moins 30 ans et il faut avoir, dès le départ, un consensus fort sur toutes ces questions.
Sur le plan géopolitique, le Sénégal doit continuer à huiler sa relation avec la Mauritanie, avec qui nous partageons un gisement de gaz et être très vigilant sur les questions de sécurité liées au terrorisme.
Comment le Sénégal pourrait tirer pleinement profit de son pétrole?
Outre les erreurs à éviter (subventionner l’essence, ne pas protéger vigoureusement l’agriculture et la pêche etc.) et l’adoption d’orientations politiques fortes en faveur de l’éducation, l’emploi, la santé et la transition écologique, il faudrait que l’État du Sénégal réduise au maximum les coûts des projets pétroliers. En effet, les revenus pétroliers de l’État sont ce qu’il reste de la production une fois que ces coûts pétroliers sont remboursés aux compagnies qui avaient endossé le risque lors de l’exploration et les lourds investissements pour préparer la production.
Ainsi, dans ce jeu de vases communicants, pour maximiser sa part, l’Etat doit diminuer au maximum les coûts afin de bénéficier d’une plus grande part des profits. Ce que nous ferons ensuite des profits relèvera du génie politique, des options stratégiques de développement du pays et du niveau de contrôle démocratique. Ainsi, pour profiter pleinement de son pétrole et de gaz, le Sénégal a besoin du concours de tous : techniciens compétents, dirigeants intègres et inspirés, citoyens informés et vigilants.