Les révélations d’un témoin des explosions au stade de France
« Il est environ 20h30 et je suis encore au bureau rue de la Roquette, dans le 11e arrondissement. Je dois rejoindre des amis au Stade de France, mais j’ai beaucoup de retard. Je leur envoie un texto pour leur dire d’entrer dans le stade et que je les appellerai en arrivant. »
« Il fait très froid dehors. Il est environ 20h40 quand je monte sur mon scooter et que je prends le boulevard Voltaire pour rejoindre Magenta en direction du Stade de France. Je m’arrête au feu devant le Bataclan autour de 20h45. Les retardataires sont encore en train d’entrer dans la salle. Je regarde l’affiche : ‘Eagles of Death Metal’. Je pense tout de suite à une de mes meilleures amies qui était partie en tournée avec le groupe et qui les connait bien. Je me dis : « Cool, elle doit être à Paris, je vais lui envoyer un texto pour la rejoindre après. »
« Il est environ 21h15 quand j’arrive au niveau du stade par les quais de l’avenue du Général de Gaulle. Il y a beaucoup de voitures et de camions de police un peu partout, mais c’est toujours comme ça pour un match de foot, je ne m’inquiète pas. Je gare mon scooter sur la petite place devant la rue du Mondial 98 qui va à la porte H. Il y a des gens sur la place qui discutent, ils sont en petits groupes, l’ambiance est étrange, mais rien de très étonnant non plus. »
« Je parle par textos avec mes amis à l’intérieur du stade mais nos portables captent mal. Je leur dis que j’arrive, que je vais faire le tour du stade et ils me répondent qu’ils me rejoignent à la grille. Je remonte la rue qui mène à la porte H, il y a un camion de police au milieu. Une policière me barre la route en me disant que cet accès est fermé. Je lui demande si la rue suivante sera ouverte, elle me répond que ce sera probablement le cas, qu’il faut que je fasse le tour. Je fais donc fait demi-tour et emprunte la rue suivante, la rue de l’Olympisme, qui mène à la porte D. »’
« Encore un camion de police, mais aussi deux camions de pompiers et d’autres véhicules de police. Un policier, seul, me barre la route à nouveau. Il semble très inquiet, presque paniqué. Il est environ 21h25 à ce moment-là. Le barrage de police est assez haut dans la rue de l’Olympisme. De là où je suis, je peux voir la porte D du stade. Je dis au policier que mes amis m’attendent à l’intérieur. Il me répond qu’il va falloir attendre. Il refuse de me dire ce qu’il se passe. »
« Un homme arrive en courant, il dit qu’il a perdu son fils pendant ‘l’explosion’. Dans ma tête tout se bouscule : « l’explosion ?!?’ Le policier le prend par le bras, lui demande ce qu’il s’est passé. Il dit qu’ils ont été séparés à la porte H il y a quelques minutes, que son fils a 7 ans et qu’il est seul. Il est complètement paniqué. »
Deux autres personnes arrivent, elles disent qu’elles ont payé leurs billets, qu’elles trouvent ça scandaleux qu’on ne les laisse pas entrer. L’homme qui a perdu son fils se retourne vers eux, les larmes aux yeux, et leur crie : ‘Vous ne voulez pas savoir ce qui s’est passé. Rentrez chez vous. Je ne souhaite à personne de voir ce que je viens de voir. Il n’y pas de mots pour décrire ce qui vient de se passer.’ Il se retourne à nouveau vers le policier : ‘Mon fils, je ne sais pas où est mon fils, je vous en supplie, aidez-moi à le retrouver ! »
« Il est 21h30. Nous entendons un bruit. Un bruit sourd, très fort, juste à côté de nous. Ce bruit est glaçant. Tous les policiers et les pompiers se mettent à courir en direction du stade, dans la rue Jules Rimet, vers la porte D qui est à 50 mètres de nous. L’homme qui a perdu son fils devient complètement blanc. Le policier semble paniqué. Il dit à l’homme : ‘Ne bougez pas. Je vous en prie, restez avec nous. On va retrouver votre fils, il a dû être pris en charge par nos collègues.' »
« Nous voyons quelqu’un allongé au sol derrière le camion de pompier sous une couverture de survie. Je commence à comprendre qu’il est en train de se passer quelque chose de grave. Tout devient confus. On entend le bruit des hélicoptères au-dessus du stade. Mon portable se met à capter quelques secondes et je reçois un texto : ‘Apparemment il y a des bombes au Stade de France et une fusillade vient de commencer au Petit Cambodge, dis-moi que tu vas bien.’ J’informe le policier de la fusillade. Il ne savait pas. Il appelle un de ses collègues, qui part ensuite en courant vers le stade. »
« Tout le monde regarde son portable, essaie d’appeler ses proches, mais personne ne capte. L’homme qui a perdu son fils est pris en charge par un autre policier qui essaie de le rassurer. Il lui dit que ses collègues ont pris en charge des gens, que son fils est probablement avec eux, il donne sa description dans son talkie-walkie. Je ne sais pas quoi faire, partir, rester… J’essaie désespérément d’aller sur Twitter pour comprendre ce qui se passe. »
« On voit des hommes armés, des policiers et des militaires qui courent dans la rue Jules Rimet. Il est environ 21h50 quand on entend une nouvelle explosion, plus loin cette fois. Le policier se retourne, il semble très inquiet, il n’a pas le droit d’utiliser les ondes de sa radio pour en savoir plus. Il nous regarde et nous dit : ‘Partez, ne restez pas là, la zone est dangereuse, il faut que vous rentriez chez vous, il faut que vous alliez vous mettre en sécurité.’ L’homme qui a perdu son fils est un peu plus loin, il a été pris en charge par des policiers. Son regard est hagard, désespéré… »
« Il y a à peine vingt minutes, il y avait des gens qui parlaient en bas des immeubles. Maintenant, il n’y a plus que des policiers. Tous les gens sont à leurs fenêtres. Je souhaite bon courage au policier et me dirige vers mon scooter en courant. Je n’ai plus de batterie, je roule vers Paris, je tremble. Je ne sais pas si c’est le froid ou la peur, probablement les deux, mais le trajet jusqu’à mon appartement est très difficile. J’arrive chez moi vers 22h15. J’allume la télé et je réalise. Je vois la rue dans laquelle j’étais au Stade de France. J’envoie un texto à mon amie que je crois au Bataclan, sous le coup d’une prise d’otage. Elle ne répond pas. »
Le Boulevard Voltaire, la rue de Charonne, le Bataclan, le Petit Cambodge, le Stade de France… Ce sont les endroits dans lesquels nous allons tout le temps. Nous avons eu de la chance, tous nos amis sont sains et saufs. Mon amie n’était pas au Bataclan mais je connaissais des gens qui y étaient. Grâce aux réseaux sociaux, je sais que la plupart vont bien. Mais pas tous. Deux sont morts, un autre est encore disparu au moment où j’écris ces lignes (ce dimanche matin, ndlr). Les autres sont à l’hôpital, ils ont survécu mais sont complètement traumatisés après avoir vécu la pire des horreurs. »
« Ce qui m’est arrivé au Stade de France, ce n’est rien. J’ai eu de la chance. La première explosion au stade a eu lieu porte H et la deuxième, qui semblait si proche de nous, était porte D, à moins de 50 mètres de l’endroit où les policiers nous ont arrêtés. Si j’étais partie du bureau cinq minutes plus tôt, si je n’avais pas eu autant de travail, je serai arrivé à la porte H à 21h10. Au moment même et à l’endroit même où ce ******* de kamikaze se faisait sauter. Mais j’ai eu de la chance. »
« Je n’ai presque rien vu, j’ai été protégée par la police, mais je pense à tous ceux qui sont morts, à tous ceux qui ont perdu quelqu’un qu’ils aimaient et je ne sais pas comment la vie va pouvoir continuer après ça. J’ai l’impression que nous ne serons plus jamais en sécurité. Je n’ai plus envie de sortir de chez moi. Ce que j’ai vécu, ce n’est rien, je n’ai pas le droit d’être traumatisée. Et pourtant je n’arrive pas à m’arrêter de trembler. »
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Source : metronews.fr