Isabel dos Santos, la femme la plus riche d’Afrique : « Je vendais des œufs de poule quand j’avais 6 ans ».
Fille du président angolais José Eduardo dos Santos, Isabel dirige un empire. Le 2 juin dernier, elle a été nommée à la tête du conseil d’administration d’une société nationale d’hydrocarbures de son pays qui présentait un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars en 2013. La fortune de celle que les Angolais surnomment la « Princesse » est estimée, selon le magazine Forbes, à 3,3 milliards de dollars (3 milliards d’euros).
Lors de sa première conférence de presse en qualité de nouvelle présidente d’une firme qu’elle souhaite recentrer exclusivement sur les hydrocarbures, Isabel Dos Santos, âgée de 43 ans, s’est efforcée de rassurer : « Nous sommes très attachés à la transparence et déterminés à améliorer les bénéfices »
A Luanda, la capitale, la nomination a provoqué la colère de l’opposition et celle du président de l’ONG anticorruption Maka Angola, le journaliste Rafael Marques. « Cette décision est purement dictatoriale. Cet acte de népotisme est illégal et nous allons le contester devant les tribunaux. Entre cette entreprise publique qu’est la Sonangol et les multiples sociétés dirigées par Isabel Dos Santos, il y a d’importants risques de conflits d’intérêts. », S’est-il emporté.
Isabel qui n’avait que six ans lorsque son père est arrivé au pouvoir est aujourd’hui mariée au riche collectionneur d’art congolais Sindika Dokolo avec qui elle a eu trois enfants. Réputée être une femme d’affaires tenace et exigeante, sous des airs discrets, Isabel est née à Bakou en Azerbaïdjan soviétique, et a grandi à Londres, où elle a étudié l’ingénierie mécanique au King’s Collège. Elle aurait toujours eu, selon elle, le sens des affaires. « Je vendais des œufs de poule quand j’avais 6 ans », confiait-elle au Financial Times en 2013.
Sa carrière dans les affaires a commencé par le rachat d’un restaurant au Luanda, en 1999, alors qu’elle n’avait que 24 ans. Mais c’est en remportant un appel d’offres que sa carrière a pris une ascension véritable, lui permettant de contrôler Unitel, le premier opérateur de téléphonie mobile du pays.
Cependant, pour Rafael Marques, « la fortune d’Isabel vient des décrets présidentiels de son père qui est un dictateur corrompu jusqu’à la moelle. Sans la corruption organisée par son père, elle ne posséderait rien. »
Son empire financier s’étend aujourd’hui bien au-delà des frontières de l’Angola. Au Portugal, Isabel Dos Santos contrôle 19 % de BPI, la quatrième banque de l’ancien pays colonisateur. Elle possède également des actions dans plusieurs sociétés, dont 10 % dans Zon Multimedia, spécialisée dans les télécommunications.
La Sonangol a été fondée en 1976. « La compagnie a eu une croissance extrêmement rapide après la fin de la guerre civile en 2002, en doublant son volume de production et grâce à un prix du baril qui est passé d’une trentaine de dollars à 147 dollars en 2008, explique Benjamin Augé, spécialiste des questions énergétiques à l’Institut français des relations internationales (IFRI). La société a ainsi pu investir dans toutes les infrastructures. »
Mais depuis la chute des cours, la Sonangol traverse une période délicate alors que le pays s’enfonce dans la crise. L’inflation a atteint, en mai, 29,2 % en glissement annuel et le kwanza, la monnaie nationale, s’est dépréciée de 40 % par rapport au dollar. Bien que « la Sonangol reste la première entreprise du pays et la colonne vertébrale de l’économie, elle n’a pas bénéficié d’un management très rigoureux dans les moments difficiles de son histoire », explique Samuel Nguembock, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS)
L’Angola, qui figure à la 163e place sur 167 au classement de Transparency International, est régulièrement pointé du doigt pour sa gestion opaque et son haut niveau de corruption. Au pouvoir depuis 1979, José Eduardo Dos Santos, âgé de 73 ans aujourd’hui, a annoncé qu’il mettrait un terme à sa carrière politique en 2018. Tout porte à croire qu’il réfléchit à sa succession. Faut-il voir dans la nomination de « Zabelinha » une amorce dans la transmission du pouvoir politique, un pas vers la présidence ? « Cela n’a rien à voir avec la politique. J’ai été amenée dans ce projet grâce à mon expérience dans le secteur privé. », se défend sa fille.
A Luanda, certains voient plutôt celui que l’on surnomme « Zenu », comme celui qui devrait succéder à son père. En juin 2013, José Filomeno de Sousa dos Santos, fils du président, a été officiellement propulsé à la tête d’un fonds souverain lancé en octobre 2012 et doté de 5 milliards de dollars. La nomination à la tête de la Sonangol, de sa demi-sœur, l’aînée des quatre enfants du président, laisse penser aussi que la gestion économique de l’Angola doit rester une affaire de famille.
« La Sonangol est depuis toujours la caisse du régime, rappelle Benjamin Augé. Confier les postes clés de l’économie à ses enfants permet à José Eduardo Dos Santos de s’assurer que sa famille va protéger l’argent du clan après son départ : celui du Mouvement populaire de libération de l’Angola, le parti au pouvoir (MPLA), mais aussi celui de la famille Dos Santos.