Héros dans »INVISIBLES », découvrez Chaka dans la vraie vie!
À Abobo, dans le nord d’Abidjan, l’aire de jeu du sous-quartier Akéikoi, a une ambiance de récréation.
Plusieurs dizaines de gamins promènent leurs frêles physiques sur les terrains du complexe sportif John Ahui. En ce début d’après-midi du 20 novembre 2018, les garçons de l’Académie symbiose football d’Abobo (Asfa) tapent dans le ballon sous une chaleur suffocante.
Les spectateurs (enfants, jeunes et même des adultes) sont tous attirés par la présence d’un jeune footballeur qui a pourtant acquis sa récente notoriété hors du monde du ballon rond. Ce jeune homme est vite passé de son domicile d’Abobo-Kennedy et arrivé sur l’aire de jeu d’Abobo-Akéikoi, star. Le héros du téléfilm »Invisibles » qui connaît une forte audience en ce moment, sur la chaîne Canal+ Afrique. Chaka, cette fois-ci, n’est pas dans ses habits d’acteur de cinéma.
Sous le hangar de fortune où son coach peine à s’abriter pour se couvrir des 31° C à l’ombre, Michel Bendé regarde fièrement arriver son nouveau chouchou. Cheveux coupés (contrairement à sa coupe un peu plus poussée dans le film).
Ali Cissé, de son vrai nom, avec un sac en bandoulière, s’approche. Flanqué dans sa paire de chaussures en plastique (le fameux Lèquin), il rythme lentement ses pas. Sa fine allure et sa démarche nonchalante permettent au public de profiter de son arrivée. Chaka ! Chaka ! Chaka! S’exclament les enfants. Responsable de l’école de foot de l’Asfa, Michel Bendé, l’extirpe de la masse et joue les bons offices.
En réalité, l’acteur-principal de « Invisibles » est, depuis l’année 2015, un pensionnaire de ce modeste centre de formation pour les jeunes footballeurs abobolais. Ali Cissé ou encore Chaka y est entré à l’âge de 10 ans dans la catégorie pupille.
«Il est venu au centre en 2015 par le biais d’un autre joueur. Il a ensuite passé le test de recrutement. Cela a marché. Et on l’a retenu. Pendant deux ans, il faisait continuellement sa formation… », relate le formateur. Ali Cissé, les bras croisés, écoute attentivement. Le petit est un grand timide. «Je m’étonne de le voir sur les écrans de télé et les panneaux de publicité. Il est naturellement très timide», précise Michel Bendé avant de demander à son »pée » (son fils) de rejoindre les autres pensionnaires pour se mettre en tenue de sport.
Son apparence à travers »le petit écran » est pourtant trompeuse. En réalité, Ali Cissé est l’un des adolescents de la commune populaire Abobo. Qui mène une vie normale chez ses parents à Abobo-Kennedy. Son père Cissé Mamoudou, commerçant d’articles divers, est en couple avec dame Koné Massandjé, réputée dans le coin pour ses actions caritatives en faveur des jeunes de la rue. La génitrice d’Ali Cissé, avec ses modestes moyens, a créé depuis quelques années, à Abobo, l’Ong »Vivre ensemble ».
Elle aide à la réinsertion sociale des enfants abandonnés à leur sort. La généreuse Massandjé leur consacre son temps, son énergie et ses économies. Son fils biologique Ali, lui, connaît un meilleur sort. Il est inscrit dans un collège de la place et va présenter cette année, le Brevet d’études du premier cycle (Bepc). Ses quotidiens, il les passe entre son école à Kennedy et son terrain de foot à Akéikoi. Les études les matins et le sport les après-midi.
Il est 15 heures. La séance d’entraînement va bientôt débuter. Maillot jaune et paire de bas rouge, le môme de 13 ans, la tête baissée, s’avance. «J’ai repris les entraînements depuis deux semaines. De plus en plus, il y a beaucoup de gens qui viennent ici. Tout le monde veut s’approcher de moi. Ils se sont rendus compte que c’est moi dans le film », lance-t-il avec timidité. Une posture qui tranche catégoriquement avec sa carrure de caïd des ghettos dans le téléfilm »Invisibles ».
«Ici, c’est le ballon. Ce n’est pas un film. Et puis, le coach suit tout, contrôle tout. Les séances d’entraînement sont rigoureuses».
Dans l’équipe de l’Asfa, son poste de prédilection est ailier droit. Il est aussi polyvalent et peut jouer au poste d’avant-centre. Tout comme au cinéma. Au football également, « Chaka-est-in-vrai-dix ! » Quoi de plus normal, sur sa tunique est inscrit »Dieu bénit toujours ». C’est la devise spirituelle du club. «Il est un bon joueur. C’est un passeur décisif. Il est à l’origine de beaucoup de buts de l’équipe», relate son entraîneur.
Dans le giron de ces mômes footballeurs, comment Ali Cissé a-t-il pu avoir du temps pour aller faire le 7ème Art ? Avec une petite gêne, il regarde son coach. En réalité, il a fait une »fugue » d’une année. «Je n’avais jamais dit à mon coach que j’avais été choisi parmi les acteurs d’un film. J’avais disparu pendant près d’une année. À partir d’août 2017, après le tournoi »Fitini foot », ici à Abobo, je ne venais plus aux séances d’entraînement de l’équipe. Je suis resté dans le silence et je partais au tournage du film. Quand, j’ai fini, je suis revenu en août 2018. J’ai dit à mon coach que je voulais reprendre les entraînements. Je lui ai présenté mes excuses. Il ne savait rien de ce que j’avais fait pendant tout ce temps. J’avais peur de lui faire cette révélation. Ce n’est que lorsqu’il a vu mon image sur les affiches qu’il s’en est rendu compte», raconte Ali Cissé.
Résultats des courses. Dans la série « Invisibles », le petit Ali Cissé campe, à merveille, le rôle d’un enfant qu’on appelle « microbe ». Un jeune du bled frustré par sa condition de vie précaire et sans repères, à la tête d’une bande composée d’enfants et d’adolescents. Leurs hobbies : attaquer les gens du quartier pour les détrousser, la nuit tombée… Tout y passe : Argent, sac, téléphone portable. Après la fiction, la réalité du foot est tout autre. Le gamin rêve de devenir un grand footballeur. «J’admire beaucoup Lionel Messi. Son jeu, sa technique. Il est fort. Je veux avoir ses qualités de jeu. Le football permet d’être parmi les meilleurs. Messi a travaillé dur pour être à ce niveau. Mon coach me répète cela tous les jours ». Et de faire un pronostic pour le Ballon d’Or 2018. «Je veux que ce soit Messi. Mais, cette année Kylian Mbappé à cause de la coupe du monde, peut faire aussi la différence dans le vote. Il sera le Ballon d’Or».
Une vie de footballeur pour Chaka dans l’un des centres de formation réputé à Abobo. Puisqu’il a vu passer des joueurs tels qu’Eboué Kouassi (Celtics Glasgow en Écosse), Doumouya Mohamed Lamine (Najran SC en Arabie Saoudite)…
La plupart des centres de formation de la commune d’Abobo ne disposent pas de structures éducatives telles que les écoles, les bibliothèques dans leurs enceintes. Ici, l’éducation est une affaire personnelle du pensionnaire et de sa famille. Certains centres essaient tant bien que mal d’établir un programme spécial pour leurs pensionnaires élèves. C’est ainsi qu’à l’Asfa (créé en 2010) de Chaka, ce sont les mercredis, samedis et dimanches que les jeunes footballeurs (écoliers et élèves) sont à la disposition du centre de formation.
Certes, les centres de formation de football d’Abobo travaillent dans des conditions difficiles, en alliant difficilement le sport et les études, mais ils réussissent à mettre à la lumière de nombreux talentueux.
Et qui sait ? Peut-être que le caïd Chaka de »Invisibles » sera dans les années à venir très visible dans le monde du football à l’instar de Didier Drogba, Yaya Touré… Pourvu que »Timo » ne vient pas prendre sa revanche pour brûler, à son tour, le pied de son »Gaza ».
ADAM KHALIL, Fraternité Matin
Crédit Photo: ivoiresoir