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Burkina-Faso: Ces malheureuses femmes d’épouses d’émigrés en Europe

Hilare et encore sidérée, Awa se rappelle ce moment, il y a quelques années, dans une agence de transfert d’argent. Le guichetier lui tend une enveloppe. À l’intérieur, 2 500 francs CFA (3,80 euros).

C’est son mari, parti à l’étranger, qui les lui a envoyés. «J’ai bien regardé au fond, il n’y avait pas d’autres billets. C’est la honte, même si je comprends très bien que, là-bas, il n’y a pas de boulot.»

Des désillusions comme celle d’Awa, les épouses d’émigrés de Béguédo, une petite ville du centre est du Burkina-Faso, en ont toutes. Elles croyaient pourtant que s’unir à un émigré signifiait la fin de leurs problèmes financiers, dans cette région agricole et pauvre.

Absent, même sur les photos

C’est aussi le cas de Alimata, 24 ans mariée en 2008 à un homme qui vivait déjà en Italie. Coquette et toujours en forme, elle confie ses regrets. A côté, sa fille feuillette les photos de famille, enfin plutôt des photos de sa mère. Le mari n’est presque jamais sur les clichés.

«Si j’avais su, je ne me serais pas mariée avec lui, je ne le vois jamais. Mais quand tu es une fille, tu connais quoi de la vie? J’aurais pu chercher un pauvre ici et on aurait fait notre vie tranquillement. J’aurais dû rester à l’école. J’aurais pu être  fonctionnaire.»

Ces hommes tant convoités travaillent principalement en Italie, qu’ils ont atteinte via la Côte d’Ivoire, destination principale des émigrés burkinabés de Béguédo. Là-bas, certains ont travaillé avec des entrepreneurs italiens qui, dans les années 1970, leur ont proposé de les suivre  en Italie. Puis les premiers Burkinabés « italiens », ont fait venir  leurs proches, et la communauté s’est agrandie.

À Béguédo, l’argent de la migration est palpable, entretenant l’illusion de l’émigré fortuné. On le devine dans les maisons en dur au toit en tôle, qui remplacent les cases traditionnelles en banco. On le voit dans les trois banques de la petite ville et les nombreux guichets Western Union, des deux côtés de la rue principale.

Bien se maquiller pour le retour des émigrés

Ces émigrés, les « Italiens », comme on les appelle ici, reviennent en août et en décembre, s’ils gagnent assez d’argent pour se payer un aller-retour et si leurs papiers sont en règle. Quand ils arrivent, c’est le show.

«J’ai vu le préfet  vouloir acheter du poisson pour 4 000 CFA. Un migrant arrive et, sans négocier le prend à 10 000 CFA. Ici, c’est le préfet qui est censé avoir le plus d’argent.». L’anecdote est du sociologue burkinabé Mahamadou Zongo, spécialiste des migrations.

«Quand les “Italiens” reviennent, les filles mettent des pommades pour avoir la peau claire, apparemment, ils aiment ça. Elles se coiffent, s’habillent et se maquillent bien », mime Alimata en gloussant. Comme beaucoup d’épouses d’émigrés, elle a rencontré son mari au marché, haut lieu de drague.

«Il m’a trouvé belle, je l’ai trouvé beau. Dix jours plus tard, on se mariait. Trois semaines après, il retournait en Italie», se souvient-elle. En six ans, elle ne l’a revu que trois fois. Deux enfants sont nés de ces visites.

A Béguédo, les mariages peuvent être conclus moins de trois semaines après la rencontre entre les futurs époux. Ces mariages express ont été surnommés «mariages Dubaï» par le professeur Zongo :

«Dubaï est un lieu où les Burkinabés font des achats pour le commerce et reviennent aussitôt. L’idée, c’est la rapidité du voyage et sa dimension utilitaire. Avant, pour se marier, il fallait prouver qu’on pouvait s’occuper de sa femme. Là, très rapidement, vous avez votre épouse, un peu comme si vous l’aviez achetée au marché.»

La cérémonie du mariage est belle. Les repas, copieux. Vêtements et bijoux brillent. Beaucoup d’argent est dépensé, quitte à s’endetter. Encore un élément qui entretient le mythe de la richesse des émigrés.

Mais bientôt, le rêve s’évapore. Entre elles, les épouses en parlent peu. Qui voudrait avouer une vie contraire à celle qui a été vendue aux premiers instants?

Pour parler de sa vie et de celles des femmes d’émigrés, une cultivatrice de Béguédo, Husseina Noni, a écrit une chanson : Les Femmes des voyageurs. Cela raconte l’argent, mais aussi et surtout l’attente. Les difficultés à élever  seules les enfants. L’infidélité et les répudiations, parfois sur un simple coup de fil. Cela raconte aussi le manque d’amour physique et les tentations.

Rencontré sur un chantier, un ouvrier, revenu au Burkina après quelques années en Europe, s’énerve quand on évoque la vie difficile des épouses. «Elles espèrent juste qu’on va ramener de l’argent », lâche-t-il. « Elles savent très bien comment sera leur vie. A elles d’accepter la solitude qui va avec»

Des femmes indépendantes financièrement

Malika (prénom modifié), encore toute jeune, écoute tristement la chanson de la conteuse. Timide mais déterminée, hors de question pour elle de se laisser abattre . Elle n’attend plus grand-chose de son mari, épousé en 2012, et vend des pagnes et des bananes au marché.

«Quand je gagne de l’argent, je le mets sur mon compte bancaire. Je n’ai dit à personne que j’ai ouvert un compte, même pas à mon mari. Ce n’est pas parce que ton mari est italien que tu dois rester à la maison.»

Alimata, elle, vend depuis trois ans du charbon. «Avant, je n’avais même pas 200 francs CFA pour acheter des spaghettis. Maintenant, ça va, mais c’est parce que je travaille!»

Elle a longtemps rêvé de rejoindre son mari en Italie. Une ambition aujourd’hui abandonnée – il dit n’avoir pas gagné assez là-bas pour l’inviter.

«Quand j’aurai assez d’argent avec mon charbon, je lui paierai un billet pour qu’il revienne. On fera mon commerce ensemble, ça vaudra mieux que son travail.» Un travail dont son mari ne lui a jamais dit en quoi il consistait.

Lentement, un revirement s’opère. Si le statut que confère le mariage à un migrant est toujours envié, il est moins fantasmé.

Les parents aussi changent. Azara, institutrice dans une école primaire de Béguédo en témoigne.

«Avant, si un “Italien” venait demander la main d’une jeune fille – elles ont parfois tout juste 13 ans –, les parents acceptaient qu’elle abandonne l’école pour l’épouser. Maintenant, ils ont pris conscience que ce n’est pas bien. Ils voient à la télé que les femmes sont émancipées. Le premier mari d’une femme, c’est son boulot.»

Source : lemonde.fr

Felicia Essan

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