19 septembre 2002/ Ministre de la Défense, Lida Kouassi raconte comment il a survécu ( 1 )
20 ans aujourd’hui que la Côte d’Ivoire a été lâchement attaquée par des rebelles formés et nourris par le Burkina Faso de Blaise Compaoré. Ce 19 septembre 2002, Lida Kouassi est ministre de la Défense de Laurent Gbagbo. Il a reçu des informations du ministre de l’intérieur Boga Doudou de ce qu’un coup est imminent. Il alerte les unités combattantes d’Abidjan, fait une ronde dans la ville entre 22h et 23h45 pour voir si la sécurité est renforcée. Il rentre donc à la maison. Dans la nuit, les rebelles déjà embusqués lancent leur attaque sur Abidjan, Bouaké et Korhogo. Lida Kouassi raconte comment il a échappé à la mort. Nous vous publions deux larges extraits de son livre sur cette nuit tragique.
« Ce jeudi 19 septembre, il est environ 3h du matin. Les éléments du poste de police de ma résidence me réveillent en disant: monsieur le ministre, depuis quelques temps nous entendons des coups de feu nourris dans la ville; on dirait que ça ne va pas! C’est pourquoi, nous vous réveillons. Sautant aussitôt du lit, j’enfile un pantalon et un pullover léger. Je prends mon arme personnelle, un P.A. avec mon téléphone portable et je demande à mon épouse de se préparer rapidement pour être évacuée avec les enfants. Trop tard!
C’est au moment où mon épouse, ayant à peine fini de s’habiller, cherche à porter une chaussure fermée, que nous entendons la première détonation, celle d’une roquette tirée sur le salon principal de la maison. Il est environ 3h 20. La détonation est si puissante que les murs de la maison tremblent sous le choc. Mon épouse affolée se met à courir dans tous les sens dans la chambre. Je parviens à la maîtriser et à sortir avec elle dans la cour intérieure. Au moment de refermer la porte, nous entendons encore deux puissantes détonations. Il s’agit de tirs de roquette envoyés directement sur notre chambre à coucher et sur le petit salon.
Je réalise alors que mon domicile est déjà encerclé. Je demande à mon épouse de se calmer et de rejoindre les enfants dans leur chambre. J’aperçois, à ce moment précis, mon garde du corps, le MDL Akpélé, qui essaie de porter son treillis et d’armer son pistolet. Je lui intime l’ordre d’entrer dans mon bureau pour y prendre une arme plus puissante. J’entends précisément à cet instant les assaillants crier au portail: ouvrez! Vous les militaires, vous êtes des frères d’armes, nous n’avons pas affaire à vous! C’est le ministre Lida Kouassi que nous voulons. L’instant d’après, deux roquettes s’abattent contre le portail d’entrée.
Sous le choc, ce portail blindé cède et tombe dans un grand fracas. Les soldats postés à l’entrée s’enfuient, à l’exception de l’un d’entre eux, le S/M Zouzou Victor de la garde républicaine qui s’est fait prendre! Les autres soldats factionnaires ont tous pris la fuite en abandonnant grenades, armes et munitions! Les assaillants entrent dans la cour en tirant des rafales d’armes automatiques, ponctuées de tirs assourdissants d’une AA52. Les sentant proches de moi, à moins d’une dizaine de mètres, je n’ai pas d’autre choix que de m’improviser une planque derrière le poste téléviseur grand écran de mon salon. Dans ce coin du salon principal, le premier tir de roquette a déjà causé des impacts visibles, des bris de verres et une légère fumée, au point qu’on peut difficilement penser y trouver encore quelqu’un de vivant.
De cette planque, j’ai pu suivre comment les assaillants ont mitraillé d’abord ma chambre à coucher, ensuite mon bureau avant d’entrer enfin dans le salon principal. Par miracle, ils tournent le dos au poste téléviseur derrière lequel je me tiens accroupi. Ils mitraillent tous les endroits du salon qui sont susceptibles de servir de cachette. Mais à l’instant où ils se tournent de mon côté, une scène inattendue se produit: mon demi-frère Vagba John Varlet qui a la même morphologie que moi, traverse la cour en courant. Sa fuite ne manque pas de capter l’attention des assaillants qui se ruent à sa poursuite. Dans son élan, il réussit à sauter par-dessus le mur de la clôture, du côté de la résidence du Directeur général de la douane.
Un de ses poursuivants qui croit qu’il s’agit de moi, lance à l’adresse de ses compagnons: il a sauté la clôture! Il me semble que les assaillants ne sont pas revenus me chercher au salon principal à cause de cette scène qui a fait diversion. Ayant renoncé à revenir au salon, ils entreprennent de fracasser les portes des autres pièces pour en extraire tous les occupants. Ils les font coucher sous la menace des armes, face contre terre, dans la cour intérieure. Pendant deux heures, ils soumettent mon épouse à un interrogatoire musclé. Ils la malmènent à coups de crosses, de godasses et de gifles, en lui demandant d’indiquer où est son mari. Elle répond sans cesse: mon mari n’est pas rentré; je ne sais pas où il est ! Depuis quelque temps, il a une maîtresse, il découche; ce soir il n’est pas rentré. Vous avez trouvé notre chambre vide, moi, je dormais avec mes enfants. Vous m’avez trouvée avec mes enfants, pitié mes frères, à cause de Dieu, ne nous faites pas de mal».
Mais dans leur fureur, les assaillants lui répondent: tu mens, on l’a vu rentrer hier soir! Refusant de croire mon épouse, ils continuent de la battre. Je crois que sous la violence des coups, elle a fini par perdre connaissance. Ils prennent alors mon fils de dix ans et demi et le conduisent à travers toute la maison en lui demandant d’indiquer où est caché son papa. Ils tirent de temps à autre une rafale pour l’effrayer, mais je le sens très calme. Après une vingtaine de minutes de recherche infructueuse, ils ramènent mon fils et le font coucher à nouveau face contre terre, à côté des autres. Puis ils recommencent l’interrogatoire avec sa mère qui, entre-temps, a repris connaissance. Après plus de deux heures d’interrogatoire, l’un des assaillants, agacé, crie à leur chef: commando, y en a marre, elle ne veut pas coopérer; le chef lui rétorque: si elle refuse de coopérer, emmène-la et fais ce que tu as à faire. J’entends alors l’assaillant déchirer les vêtements de mon épouse et l’entrainer dans mon bureau. En l’entendant se débattre pendant un moment avec mon épouse, j’ai craint qu’il ne l’exécute ou qu’il ne la viole. Je manque de commettre l’imprudence de sortir de ma cachette pour voler à son secours.
J’entends mon épouse faire une chute brutale suivie d’un grand soupir et, tout de suite après, l’assaillant qui crie à ses compagnons : venez, il y a des armes ici ! Chef, y a beaucoup d’armes ! Je comprends qu’ils viennent de découvrir le stock d’armes de ma sécurité rapprochée, dans le petit sous-sol de mon bureau. Pendant qu’ils s’activent à transporter les armes et les munitions, je n’entends plus mon épouse! Soudain, un des assaillants, probablement posté dehors, se met à crier à leur chef: commando, on dirait qu’il y a une contre-attaque. Le chef répond: une contre-attaque!
Allez prenez les dernières armes et partons d’ici; un autre lui demande: et sa femme? J’entends leur chef ordonner: embarquez-la ! Il est environs 6h 45 lorsque les assaillants quittent mon domicile précipitamment. Ils embarquent dans leur fuite mon épouse et avec elle, comme je l’apprendrai plus tard, un des soldats factionnaires, le S/M Zouzou Victor. Ils embarquent aussi le S/M Séka Achi Robert, mon photographe au ministère de la Défense qui était arrivé entretemps sur les lieux. Après leur départ, je décide cependant de rester encore un moment dans ma cachette, craignant qu’un élément laissé en embuscade ne m’abatte. Aux environs de 7h 10, j’entends arriver un véhicule dont les occupants découvrent mes enfants dans la cour, toujours couchés face contre terre et les emmènent. Dix minutes plus tard, arrive un autre véhicule dont les occupants entreprennent de fouiller les lieux à ma recherche. Après une quinzaine de minutes de recherche, l’un d’entre eux s’avise de me lancer l’appel suivant:
monsieur le ministre d’Etat, nous sommes les gendarmes en faction à la résidence du Président! Nous avons déjà mis vos enfants en lieu sûr; nous sommes venus vous chercher pour vous conduire à la résidence; si vous nous entendez, montrez-vous!
Ayant entendu cet appel, je me garde de bouger dans un premier temps, laissant les éléments poursuivre leur recherche encore quelques minutes. Le soldat réitère alors au bout de quelques temps son appel. Lorsque, rassuré, je sors enfin de ma cachette, le premier soldat qui m’aperçoit est tellement surpris de me voir encore vivant qu’il tire un coup de feu de son arme, par inadvertance. Le second soldat me demande: Monsieur le ministre, c’est bien vous? Je réponds: oui, c’est moi ! Il poursuit: vous n’êtes pas blessé?
Je réponds: non.