19 septembre 2002/ La guerre dans la guerre entre Affi N’guessan et Lida Kouassi Moïse (3)
Dans la journée du 19 septembre 2002, le ministre de la Défense Lida Kouassi Moïse prend les choses en main pour défendre l’Etat attaqué. Il le fait surtout en l’absence du Premier ministre Affi N’guessan qui est injoignable et hors d’Abidjan. Le ministre de l’intérieur mort, Lida pare au plus pressé. Mais, il raconte avoir été réprimandé par Affi N’guessan qu’il avait réussi à faire héliporter d’Oumé à Abidjan. Un épisode qui peut expliquer l’inimitié actuelle entre les deux hommes.
« ll est environ 7h 50 du matin, ce jeudi 19 septembre 2002, lorsque j’arrive, sous escorte, à la résidence du Président de la République. L’atmosphère à la résidence du chef de L’Etat ce matin-là est quelque peu tendue et confuse. A l’entrée du premier bâtiment, je suis surpris de retrouver, dans un coin du couloir d’accès au bureau de la Première Dame, mes trois enfants. A côté de la gouvernante qui tient la plus petite dans ses bras, les deux autres sont blottis l’un contre l’autre !
En me voyant arriver, ils se lèvent; ils ont l’air exténués, mais je suis heureux de voir qu’ils sont indemnes. Il y a là, en plus de quelques travailleurs, le nouveau chef de cabinet Kuyo Téa Narcisse, trois jeunes médecins, le Dr Bidi, le Dr Tabley et le Dr Zézé. Les capitaines Katté et Séka Anselme s’emploient à organiser une soixantaine d’éléments de la garde présidentielle à l’intérieur et aux approches immédiats de la résidence. Tous, civils comme militaires, ont l’air abattus et désemparés. Manifestement, ils attendent qu’une autorité réagisse pour leur redonner confiance. Avant toute décision, je demande si l’on a des nouvelles du Premier ministre et surtout du ministre d’Etat Boga Doudou. J’apprends que le premier est absent d’Abidjan et que l’on est sans nouvelle du second. Je réalise alors que par la force des choses je suis la seule autorité gouvernementale qui puisse, dans cette circonstance, agir et parler au nom de l’Etat. Je décide donc de prendre immédiatement les choses en main, en m’installant dans le bureau de la Première Dame.
Sitôt installé, je demande si la radio et la télévision fonctionnent. On me répond que seul le téléphone fonctionne ! J’ordonne donc que l’on me mette en communication avec le ministre d’Etat Boga Doudou ; mais celui-ci ne répond pas ! Je tente alors de joindre les journalistes Eloi Oulaï et Pol Dokui de la radio; le premier nommé est injoignable, mais le second est au bout du fil. Je lui propose d’envoyer une escorte militaire le prendre pour l’accompagner chercher les techniciens de la Rti; il faut que ceux-ci remettent rapidement en état l’émetteur d’ Abobo afin que j’adresse, au nom du gouvernement, un premier message radio-télévisé à la population pour la rassurer. Pol Dokui se laisse convaincre et accepte la mission. Pendant ce temps, je demeure très préoccupé, tant du sort de mon épouse que de celui de mon collègue, le ministre de l’Intérieur dont on est toujours sans nouvelles.(…)
Ce jeudi 19 septembre, les événements vont si vite que ma mémoire a du mal à les capter dans l’ordre: toujours est-il que ce même jour, peu avant 13 heures, j’ai enfin le Premier ministre Pascal Affi N’Guessan au téléphone: celui-ci m’informe qu’il est encore à Yamoussoukro où les événements l’ont surpris. Il voudrait savoir si l’autoroute est sécurisée pour rentrer à Abidjan. Je lui réponds que je ne peux garantir sa sécurité s’il veut rentrer par l’autoroute, étant donné que les assaillants qui s’enfuient d’Abidjan remontent tous vers le Nord par la même voie. Je conseille donc au Premier ministre de se déporter à Oumé où je peux envoyer un hélicoptère pour le ramener sur Abidjan. A 13h 30, j’ordonne au colonel Séka Yapo, commandant des forces aériennes, de faire décoller l’hélicoptère pour la mission sur Oumé.
Mais les événements s’accélèrent à tel point qu’il y a lieu de craindre des développements imprévisibles avant le retour de monsieur le Premier ministre. Je conviens donc avec les autres ministres présents, de prendre d’urgence quelques mesures conservatoires. De concert avec les ministres Désiré Tagro et Paul-Antoine Bohoun Bouabré, et après l’avis du Chef d’état-major des armées, du commandant supérieur de la gendarmerie et du Directeur général de la police nationale, je décide donc de prendre un décret pour instaurer un couvre-feu sur toute l’étendue du territoire, de 18 heures à 7 heures. Au demeurant, je charge, à sa demande, le ministre Désiré Tagro d’assurer l’intérim du ministre de l’Intérieur.
Depuis Oumé, le Premier ministre m’instruit, avant d’embarquer à bord de l’hélicoptère, de convoquer les ministres encore joignables à Abidjan pour tenir dès son arrivée, un conseil de gouvernement restreint, à la résidence du chef de l’Etat
Pendant ce temps, l’hélicoptère transportant le Premier ministre se pose à proximité de la résidence du chef de l’Etat vers 16h 30. A peine descendu de l’appareil dépêché par mes soins pour le ramener sain et sauf à Abidjan, Pascal Affi N’Guessan rue dans les brancards contre moi: il désapprouve notamment le fait que j’aie fait des déclarations radiotélévisées sans attendre son arrivée et me reproche surtout d’avoir signé, en outrepassant mes attributions, le décret instaurant le couvre-feu ! Je me garde cependant de répondre aux propos ouvertement désobligeants du Chef du gouvernement.
Le ministre Désiré Tagro, prenant ma défense, s’avise de réagir en ayant ce propos juste: mais monsieur le Premier ministre, Si le ministre d’Etat Lida n’avait pas fait ce qu’il a fait, croyez-vous que nous serions encore là? Parfois, il vaut mieux que périsse le droit plutôt que l’Etat! Les choses en sont restées là. Après le conseil de gouvernement restreint, on note, au bilan des affrontements sanglants de cette journée, plusieurs centaines de pertes en vies humaines dont deux victimes de taille: l’ancien chef de l’Etat, le Général Robert Guéï et le ministre d’Etat Emile Boga Doudou... »