16 décembre 2010-10 décembre 2020 / De « Adjigui dôni-dôni à la CPI, retour 10 ans après, sur le jour où la crise électorale devint militaire
La crise post-électorale ivoirienne de 2010 a 10 ans. Si l’on se réfère à la date des premiers affrontements armés entre les camps Gbagbo et Ouattara. A cette époque, Guillaume Soro était tout feu, tout flamme. Grand soutien d’Alassane Ouattara, il faisait feu de tout bois. Dans le camp Gbagbo, trahisons et défections ont marqué la fin du régime des Refondateurs. Retour sur une journée qui a changé le cours de l’histoire.
« Le jeudi 16 décembre 2010, le gouvernement au grand complet se rendra dans les locaux de la Rti pour y installer le nouveau directeur général (Dg), Monsieur Brou Aka Pascal », annonçait Guillaume Soro, en présence de plusieurs membres de son gouvernement, le 14 décembre. Le Premier Ministre de Ouattara alors reclus au Golf Hôtel ajoutait :
« De deux, la tenue, le vendredi prochain d’un conseil de gouvernement dans les locaux de la Primature au Plateau : «Le vendredi 17 décembre 2010, afin de faire face aux préoccupations des Ivoiriens et pour abréger les souffrances des populations, le gouvernement au complet tiendra le conseil de gouvernement dans les locaux de la Primature au Plateau ».
Le jeudi 16 décembre 2010, les affrontements armés tant redoutés ont commencé entre les ex-rebelles et l’armée loyaliste. En plus des accrochages dans plusieurs secteurs d’Abidjan, la véritable inquiétude nait à Cocody au niveau de la résidence de l’ex-première dame Thérèse Houphouët.
Ce jour, par petits groupes, des rebelles sortent du Golf Hôtel et attaquent un check-point des soldats loyalistes à ce lieu. Ils feront au moins 3 morts. Dans leur riposte, les soldats loyaux à Laurent Gbagbo réussissent à repousser leurs assaillants jusqu’aux portes du Golf Hôtel. Et là tout change. Car les forces onusiennes qui stationnent dans cet hôtel se transforment en supplétifs des ex-rebelles. Et ensemble, ils échangent des tirs avec les soldats loyalistes.
L’image que l’histoire retient ce jour, c’est ce rebelle accroupi apeuré avec un RPG-7, les positions des loyalistes, en mire. Les vociférations de celui qui semble être son supérieur restent gravées dans les mémoires. C’est le célèbre « Adjigui doni doni, pancarte-là, pancarte-là ». Il demandait en fait à son élément de viser bien une pancarte où il croyait voir des soldats loyalistes. Le rebelle lui n’avait pas la sérénité des grands jours.
Quand le calme revient, le bilan est lourd. Selon Guillaume Soro, les affrontements ont fait au moins trente morts à Abidjan. Le gouvernement de Gbagbo parle lui de vingt morts, y compris des soldats. Sur les 10 membres des forces armées tués dans leurs rangs, trois ont été brûlés vifs dans un immeuble dans la commune d’Abobo.
Alors que Soro appelle à ne pas céder à « cette dictature des chars », la communauté internationale déroule son rouleau compresseur contre Laurent Gbagbo. Ce sera le début d’une avalanche de menaces jusqu’à sa chute en avril 2011. Ban Ki-moon, SG de l’ONU à l’époque rappelait « à ceux qui incitent ou commettent des violences et à ceux qui utilisent les médias dans ce but qu’ils seront tenus pour responsables de leurs actions« .
Les Etats-Unis, la France et les puissances africaines qui se sont rangées du côté de Ouattara, malgré le verdict du Conseil Constitutionnel en faveur de Gbagbo, ont fait savoir à ce dernier qu’il disposait d’un « temps limité » pour quitter le pouvoir.
Si ceux que Soro désigne comme des « quidams identifiés comme des miliciens libériens appuyés par la garde républicaine« , réussissent à maitriser Abidjan ce jour, la machine qui aura raison de Gbagbo quatre mois plus tard est enclenchée. le soutien de la communauté internationale aux adversaires de Gbagbo leur font reprendre du poil de la bête.
Le mois de janvier 2011 enregistrera les premières grandes défections au niveau de l’armée ivoirienne. Ces ralliements qui auront pour point d’orgue la défection du Gl Mangou, chef d’Etat-major de Gbagbo le 30 mars 2011 achèveront de désagréger ce qu’il restait de cohésion au sein des Forces de Défense et de Sécurité.
Ouattara, Bédié et Soro sortent vainqueurs le 11 avril avec l’appui inestimable de la France. Gbagbo défait, découvre que son système était pourri de l’intérieur, avec des personnes qui jouaient sur deux tableaux. Mais 10 ans après, l’impensable s’est produit. Les alliés d’hier ( Bédié, Ouattara, Soro) sont devenus plus que des adversaires. Des ennemis, à la limite.
Avili, vaincu, humilié et déporté à la CPI avec pour bagage un simple pantalon et une chemise, Laurent Gbagbo semble avoir pris une revanche sur l’histoire. Acquitté en première instance dans son procès avec Blé Goudé pour crimes contre l’humanité, il est, en plus d’être l’allié de certains de ses bourreaux d’hier, au centre de la nouvelle recomposition du landernau politique.